L'histoire des bordeaux

Deux mille ans d'histoire partagée ont fait de Bordeaux la capitale mondiale du vin. Gâtés par une géologie et un climat favorable mais soumis aux aléas de l'histoire et de la nature, les Bordelais ont, à chaque époque, su saisir la chance qui allait les guider sur le chemin de la réussite : politique, économique, commerciale ou technologique. De Burdigala à Bordeaux, chaque Bordelais a, à sa façon, écrit une page de cette aventure exceptionnelle : depuis le poète Ausone jusqu'aux grands financiers d'aujourd'hui en passant par les seigneurs, les abbés, les négociants, les armateurs, les chimistes, les biologistes, les jurats de la ville et les hommes de l'art vitivinicole. Modèle de qualité exporté dans le monde entier, le vin de Bordeaux reste à jamais lié à l'histoire de sa ville.

Premiers ceps romains

1er siècle, Collection Musée d'Aquitaine
Les origines du vignoble bordelais se situent à l'époque de la conquête romaine, quand, en 56 av. JC, Crassus conquiert Burdigala et soumet les Bituriges Vivisques, peuple celte à l'origine du bourg.
Dans la cité décrite par le géographe grec Strabon au 1er siècle, le vin est pourtant encore peu présent. Importé de Pompéi puis du Narbonnais et d'Espagne, il reste une boisson chère dont le commerce n'enrichit que les Romains.
La conquête de la Bretagne (la Grande-Bretagne d'aujourd'hui) par Claude et l'importation de la biturica, un cépage résistant dont l'origine reste discutée, scelleront la vocation viticole de Bordeaux. En 71 après JC, quand Pline visite la région, les vignes sont là.
Du 1er au 4e siècle, de la conquête romaine à la célèbre apostrophe du poète Ausone à Bordeaux ("Toi qu'illustrent tes vins et tes fleuves"), le bourg biturige se transforme en une cité de négoce imprégnée d'une culture viticole qui pénètre tous les secteurs d'activité — l'économie, les métiers, les arts, l'architecture. Le vignoble gagne lui aussi du terrain. Il conquiert les faubourgs de Burdigala et les "côtes" de la rive droite.

L'âge d'or anglo-saxons

Armoiries de Bordeaux, 1ère moitié du 15e siècle
Cinq siècle d'invasions et de troubles auront presque raison du vignoble bordelais. Mais la propagation du christianisme — il faut du vin pour le culte — et l'accroissement démographique — qui fait défricher des terres nouvelles — assurent la continuité de sa culture. Le vignoble médiéval s'impose dans les faubourgs de la ville et dans les paroisses des Graves et du Médoc. Il progresse dans l'Entre-Deux-Mers.
En offrant de nouveaux débouchés au vin de Bordeaux, l'Histoire va jouer en faveur du vignoble bordelais. En 1154, Henri II Plantagenêt, époux d'Alienor d'Aquitaine, monte sur le trône d'Angleterre. Les Anglais deviennent seigneurs d'Aquitaine, une province dont ils apprécient beaucoup le "Claret".
Fidèles sujets du suzerain, les Bordelais monnayent leur loyauté contre des privilèges fiscaux et commerciaux. En trois siècles d'histoire anglaise, Bordeaux établit ainsi un monopole sur la production, la vente, l'expédition et la distribution des vins vers la Grande-Bretagne. La vigne gagne du terrain dans les faubourgs de la ville, conquiert les "palus" des vallées et investit les ceintures des bourgades de Fronsac, Saint-Émilion, Cadillac, Saint Macaire, Langon, Barsac...
En 1303, 102 724 tonneaux sont exportés, un record qui ne sera égalé qu'en 1950.

La révolution viticole des 17e et 18e siècles

Si les Anglais aiment le Claret, les Hollandais et leurs clients préfèrent les blancs et le solide vin des palus vinifié en rouge. Grands commerçants et acheteurs de vins, ils orientent les productions bordelaises et stimulent la création des premiers grands vins dont le célèbre "Ho-Bryan" (Haut-Brion).
Dans une cité de Bordeaux qui connaît la splendeur, le vin de Bordeaux entre dans la course à la qualité. Il s'organise et se professionnalise, fait l'objet d'études et de classements. Très rapidement, la notion de cru gagne du terrain. Elle est employée par les Anglais pour les vins de Lafite, Latour et Margaux.
1811 est un millésime de légende avec ses "vins de la comète", 1855 donne au monde le classement officiel des grands vins de la Gironde.

Le vin entre prospérité, maladies et crises

Avec le 19e siècle commence un nouvel âge d'or. En quelques décennies, la production double et les exportations triplent.
La viticulture fait des progrès rapides (pulvérisation de soufre contre l'oïdium, palissage sur fil de fer, taille du Dr Guyot) qui facilitent les travaux et améliorent les rendements. Le vin se vend bien.
Mais, en 1870-1872, l'inquiétude succède à l'euphorie. Le phylloxéra puis le mildiou attaquent la vigne sur tous les fronts. Les vins se raréfient, les prix augmentent.
La bouillie bordelaise et bien d'autres traitements auront finalement raison de ces calamités, mais l'âge d'or est terminé. Surproduction, accroissement des coûts d'exploitation, chute des cours, diffusion de faux vins… économique, financière et de confiance, la crise est profonde.
A l'aube de la Deuxième guerre mondiale, un dixième du vignoble bordelais doit être arraché.

Bordeaux capitale mondiale du vin

Le gel de 1956 et les grandes chaleurs de 1959 et 1961 marquent un tournant dans l'histoire des vins de Bordeaux. Tandis que le premier permet le rajeunissement et la restructuration de l'encépagement au profit du merlot, les secondes font prendre conscience de la nécessaire maîtrise des techniques de vinification.
C'est la raison pour laquelle le vin de Bordeaux s'est autant transformé entre 1960 et aujourd'hui qu'au cours des 10 siècles précédents.
Affirmant sa vocation qualitative, il est devenu un produit de haute technicité. Les oenologues, inconnus avant la guerre, ont pris les commandes de cette évolution. Techniciens et hédonistes du vin, ils ont joué un rôle déterminant dans la création du bordeaux rouge moderne, vin d'assemblages savamment orchestrés, comme dans la révolution des bordeaux blancs des années 80.

Les grands noms du vin

Montesquieu (1689 - 1755).
De sa région, le Montesquieu disait "l'air, les raisins, les vins des bords de Garonne et l'humeur des gascons sont d'excellents antidotes contre la mélancolie". Abandonnant le Parlement le philosophe-vigneron se retira au coeur de ses terres, dans les Graves. A La Brède et Martillac, il se plaisait à améliorer les cépages et la qualité de ses vins qu'il expédiait à Paris et vers le vaste empire britannique.
Thomas Jefferson
Fin connaisseur de vin de Bordeaux, le 3e Président des États-Unis (1801-1809) Thomas Jefferson, qui avait été ambassadeur en France à la fin du 18e siècle, vouait un véritable culte pour le château d'Yquem, et particulièrement pour son millésime 1784 dont il commanda de nombreuses bouteilles tout au long de sa vie.

Le docteur Guyot
Si la légende raconte que Saint Martin inventa la taille de la vigne en remarquant que les règes (rangs) dont les rameaux avaient été sectionnés par les chèvres en pâture, portaient davantage de grappes et que leurs raisins étaient plus beaux, c'est au docteur Jules Guyot, agronome, que Bordeaux doit ses savoir faire en la matière de taille. Développée dans les années 1860, la taille Guyot (simple ou double) est une taille longue qui nécessite un palissage complet de la vigne. La plus grande partie du vignoble bordelais est ainsi conduite.

Alexis Millardet
Professeur de botanique à la faculté des sciences de Bordeaux, Alexis Millardet et son collègue chimiste Ulysse Gayon mirent au point la fameuse bouillie bordelaise 3 kg de sulfate de cuivre et 1 kg de chaux vive dans 1 litre d'eau protégeant définitivement la vigne des attaques du mildiou.

Émile Peynaud
Père de l'œnologie moderne, Émile Peynaud soutint sa thèse en 1946 avant de rejoindre le professeur Jean Ribereau-Gayon à la Faculté d'œnologie de Bordeaux. Ses principes, simples, font toujours autorités :
  • les raisins doivent parvenir au chai en bon état sanitaire et avoir atteint une bonne maturité phénolique
  • il faut extraire les tannins avec le maximum de souplesse
  • les températures doivent être contrôlées au cours de la fermentation et le temps de macération doit être adéquat
  • l'élevage doit préserver le fruit du vin, afin que les vins puissent être consommés dès leur jeunesse.

Baron Philippe de Rothschild

Agé de 20 ans quand il prit les rênes de Château Mouton en 1922, le baron Philippe de Rothschild a bouleversé le monde bordelais par ses nombreuses audaces comme la mise en bouteille au château, la notion de deuxième vin puis de vin de marque, et les étiquettes artistiques. En 1973, le classement de Mouton Rothschild en Premier Grand Cru Classé couronne le combat d'une vie.