Sous la couronne d'Angleterre (12e siècle/ 1453)

Transcription du Traité de paix
entre Philippe Le Bel 4e du nom
et Edouard 1er du nom, roi d'Angleterre
et duc de Guienne, août 1286.
Livre des Bouillons, manuscrit sur vélin,
15e-16e siècles. © Archives municipales / AA 1
Le 12e siècle marque le véritable redéploiement de Bordeaux. Les nouveaux arrivants affluent, venus des campagnes alentours et des régions voisines. Ils s’installent dans les faubourgs de Tropeyte et Tutelle au nord, de Saint-Martin et Saint-Seurin à l’ouest, et surtout dans celui de Saint-Éloi au sud. Le port intérieur ne sert plus guère. Seul, le cours de la Devèze, allant de la porte Navigère à la Garonne, est fréquenté par de petits bateaux connus sous le nom d’anguilles de Saintonge. Les activités portuaires se reportent en bord de Garonne, sous les remparts de la ville.

Le 1er août 1137 voit le mariage à Bordeaux d’Aliénor d’Aquitaine avec Louis VII, roi de France, dans la cathédrale Saint-André. Leur union est dissoute quinze ans plus tard, le 21 mars 1152. Au mois de mai suivant, l’ex-reine de France mais toujours duchesse d’Aquitaine, épouse en seconde noce Henri Plantagenêt, duc de Normandie et comte d’Anjou. Les possessions du couple dépassent alors celles du roi de France, leur suzerain. En 1154, Henri Plantagenêt reçoit la couronne d’Angleterre, devient Henri II et vient tenir sa cour à Bordeaux à la Noël 1156, afin de recevoir l’hommage de ses vassaux gascons et aquitains. C’est le début d’une série de conflits de plusieurs siècles entre les deux monarchies, avec Bordeaux et l’Aquitaine au premier plan.
Les fortifications de Bordeaux au 13e siècle.
Dessin à la plume de Léo Drouyn © Archives municipales / XLB S90 reg 260
En 1202, l’armée du roi de France, Philippe-Auguste envahit la Normandie, l’Anjou, la Saintonge. A la fin de l’été 1204, elle est aux portes de Bordeaux, mais ne franchit pas la Garonne. En 1206, Alphonse VIII de Castille, qui avait épousé Aliénor d’Angleterre, l’une des filles d’Aliénor et d’Henri II, revendique la Gascogne. Une expédition le mène aux portes de Bordeaux, où il dévaste le faubourg Saint-Éloi hors des remparts. Il échoue à entrer dans la ville. En avril 1206, la ville se dote d’institutions municipales, dont les jurats, ses notables, choisissent librement un maire. Un sénéchal représente le roi d’Angleterre. En 1224, les hostilités reprennent. Les Bordelais résistent et aident le jeune prince Richard de Cornouailles, frère cadet du roi d’Angleterre, à reconquérir la Gascogne. Pendant ce temps dans la ville, de grandes familles de négociants se disputent le pouvoir. En 1249, les élections municipales donnent lieu à un affrontement dans le quartier Saint-Éloi entre les partisans des Coloms et des Solers. Cette instabilité conduit le prince Édouard à modifier les institutions municipales en 1261 : le maire est désormais nommé par le prince ou son représentant.

Malgré ces difficultés, Bordeaux atteint 30 000 habitants environ dans le premier quart du 14e siècle, la population la plus importante depuis son origine. La construction d’une troisième muraille est décidée. Coup de théâtre le 6 février 1340 : petit-fils de Philippe le Bel par sa mère Isabelle, le roi d’Angleterre Edouard III se proclame roi de France. C’est le début de la guerre de Cent Ans. L’épidémie de peste noire qui sévit en 1348 décime un habitant sur trois et ouvre une parenthèse aux hostilités. En septembre 1355, Edouard de Woodstock, fils d’Edouard III, arrive à Bordeaux avec son armée. Bien plus tard, un chroniqueur le surnommera le Prince noir, mais ses contemporains ne le connaissent pas sous ce nom. Le 19 septembre 1356, il remporte la bataille de Poitiers. Le roi de France, Jean le Bon, est capturé, puis gardé prisonnier à Bordeaux. Durant l’année 1360, le traité de Bretigny et la Paix de Calais apportent au duché d’Aquitaine le Poitou, l’Aunis, la Saintonge, l’Angoumois, le Limousin, le Périgord, le Quercy, le Rouergue et l’Agenais. En 1362, l’ensemble est érigé en une principauté confiée au Prince noir. Une principauté puissante et renommée, mais dont les campagnes militaires coûtent cher. La levée d’un nouvel impôt déclenche une révolte et le passage de quelques unes de ses provinces du côté du roi de France. Gravement malade, le Prince noir meurt en 1376.
Monnaie anglo-gasconne © Musée d'Aquitaine / D. 91.19.63
Pour un temps, la couronne d’Angleterre se fait moins présente, mais les Bordelais lui restent fidèle. Le 23 décembre 1406, ils attaquent l’escadre française qui assiège Bourg et la détruisent. Avec la victoire d’Azincourt sur les Français en 1415, Henri V d’Angleterre fait un retour fracassant. En 1420, Isabeau de Bavière le reconnaît comme héritier du royaume de France au détriment de son fils, le dauphin, futur Charles VII. En 1438, Charles VII tente une première offensive vers Bordeaux. Le quartier Saint-Seurin, hors des murs, est saccagé, le vignoble détruit, la campagne pillée et les paysans doivent se mettre à l’abri derrière les murailles de la cité. En 1442, dans une deuxième offensive, ils commencent par investir la ville mais celle-ci se défend âprement. Bordeaux tente une sortie désastreuse le 1er novembre 1450, la "mala jornada", qui fait des centaines de victimes. Les opérations reprennent au printemps suivant et, cette fois, Bordeaux doit capituler. Le traité est conclu le 12 juin 1451. Les conditions sont très favorables aux Bordelais afin de permettre une bonne intégration dans le royaume, mais il ne met pas un terme aux relations qu'entretiennent certains nobles et bourgeois avec Londres. La levée d’une taxe pour la défense du pays est un bon prétexte pour rappeler les Anglais. John Talbot, à la tête de 4 000 hommes, débarque à Bordeaux le 22 octobre 1452. Il y fait une entrée triomphale le lendemain.