Bordeaux des deux rives (1793 - 1914)

La construction du pont de Pierre © Musée d'Aquitaine / 76.15.14
Lasse de l’anarchie qui règne depuis la chute de Robespierre, la majorité de la population applaudit au coup d’État du 18 brumaire (9 novembre 1799), qui mène Napoléon Bonaparte au pouvoir. De multiples travaux d’utilité publique sont entrepris dans la ville, de la réparation du port, à l’assèchement des marais entourant la ville, en passant par le redressement des lits du Peugue et de la Devèze. Dans le domaine religieux, après les divisions de la période révolutionnaire, une volonté d'apaisement s'affirme. L'économie locale de ce début de siècle reste tournée vers le commerce maritime, mais les frais de débarquement à Bordeaux sont élevés en raison de l'insuffisance de l'aménagement portuaire. La ville subit la concurrence des ports de Marseille et du Havre, mieux équipés.

Si Napoléon est populaire, la guerre qu'il livre en Espagne l’est beaucoup moins. De juin 1807 à la fin de 1810, plus de 350 000 soldats traversent de jour et de nuit la Garonne. Les casernes sont insuffisantes et il faut recourir aux habitants pour héberger les troupes. La situation empire fin 1808, quand affluent une multitude de blessés et de malades qui, faute de place dans les hôpitaux, sont eux-aussi logés chez l’habitant. En 1814, la ville se retourne contre l'Empereur par l'intermédiaire de son maire Jean-Baptiste Lynch, qui prend résolument le parti royaliste. Bordeaux est la première ville de France à se rallier aux Bourbons. Mais en 1830 lors de la révolution de Juillet, Bordeaux sera aussi l'une des rares villes de province à connaître des émeutes contre le roi de France, Charles X. Le 30 juillet, une partie de la population manque de pendre le préfet, représentant le roi, qui avait ordonné la saisie de deux journaux libéraux.
Vue de Bordeaux par Antoine Heroult, en 1850 © Archives municipales / XL B 545
Parallèlement, de grands projets d'urbanisme aboutissent. En 1822, c'est l'ouverture tant attendue du pont de Pierre, premier pont reliant les deux rives, puis en 1824 celle de l’Entrepôt réel des denrées coloniales pour stocker les marchandises sous douane. En 1829 le nouvel hôpital Saint-André remplace l'ancien, devenu insalubre. Les arts décoratifs, la céramique (David Johnston s'associe à Jules Vieillard en 1840) : la ferronnerie, et le vitrail trouvent un développement dans les maisons bourgeoises.

La révolution de 1848 est mal accueillie par une bonne partie de la population et Bordeaux est cette fois la dernière des grandes villes françaises à proclamer la République, le 29 février, avec quatre jours de retard sur le reste de la France. Trois semaines plus tard, l’arrivée de son nouveau commissaire de la République, Louis Latrade, étiqueté "communiste" par la rumeur, déclenche une émeute. Lors des élections du 10 décembre 1848, les électeurs bordelais se rallient majoritairement à la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République.

Une reprise économique a lieu dans la seconde moitié du 19e siècle. L'industrie se développe et donne naissance, en quelques décennies, à de nouvelles activités : chimie lourde, agro-alimentaire, métallurgie, construction automobile. Le port voit enfin la modernisation de ses infrastructures. Des quais verticaux sont construits autour de 1850. Ils sont suivis, de bassins à flots, de docks et de l'emploi de grues à vapeur. Le port est florissant grâce au négoce du rhum de la canne à sucre, aux nouveaux marchés offerts par les pays neufs d'Amérique latine, au vin toujours, à la morue, puis, un peu plus tard, à l'arachide du Sénégal et à l'exportation du bois des Landes.
Début 1900, Motobloc est l'un des représentant
de la construction automobile à Bordeaux © Archives municipales / XL F 632
Le Théâtre Français, le cimetière de la Chartreuse, le palais de justice, les colonnes rostrales des Quinconces, les boulevards (1853-1857), les lignes de chemin de fer vers Bayonne ou Paris, l'extension des quartiers, l'adduction d'eau et l'éclairage des rues dans les années 1860, l'annexion de la commune de La Bastide en 1865, l'ouverture du cours d'Alsace en 1869, l'installation de marchés, le dégagement de la cathédrale Saint André, la construction de la synagogue, des facultés, de la bibliothèque municipale et de la gare Saint-Jean… sont pêle-mêle des témoignages significatifs de l'aménagement de Bordeaux, ville attrayante qui passe de 120 000 habitants en 1841 à 230 000 en 1891.

A partir de 1870, lassés par le dirigisme impérial, les Bordelais manifestent durablement leurs sentiments républicains. A la chute de l'Empire, le 4 septembre 1870, le maire proclame la République depuis l'Hôtel de ville devant une foule nombreuse. Le lendemain, la statue équestre de Napoléon III, qui se dressait sur les allées de Tourny, est renversée, traînée jusqu’à la Garonne et jetée dans le fleuve.

L'avènement de la 3e République en 1875 marque l'apogée de la sculpture monumentale. La ville lance des concours pour la création de statues de personnages historiques, de fontaines à thèmes allégoriques et mythologiques. L'exemple le plus représentatif est, sur la place des Quinconces de part et d'autre de la colonne des Girondins, l'ensemble connu des Bordelais sous le nom des chevaux de bronze des Girondins, réalisés de 1893 à 1899. Cette floraison de l'imagerie républicaine s'inscrit entre deux moments tragiques durant lesquels Bordeaux devient par deux fois, la capitale de la France : en 1871, après la défaite française à Sedan contre les Prussiens et en 1914 au début de la 1ère guerre mondiale.