Économie sociale et solidaire Au Théâtre des Beaux-Arts, une coopérative qui la joue collectif
Mis à jour le 15 octobre 2025
Série "En route vers le Forum mondial de l'Économie sociale et solidaire", du 29 au 31 octobre à Bordeaux - (Épisode 5/6).
Derrière les murs du théâtre des Beaux-Arts de Bordeaux, la société coopérative d’intérêt collectif Toï toï toï fait vivre une autre manière d’entreprendre la culture : démocratique, partagée et humaine
« Toï toï toï, c’est l’équivalent du “merde” en allemand, celui qu’on souhaite pour se porter chance. Dans le milieu du théâtre, c’est quelque chose qu’on dit beaucoup avant un spectacle par exemple », raconte Loïc Rojouan, comédien, auteur, metteur en scène et directeur artistique du Théâtre des Beaux-Arts de Bordeaux, situé à mi-chemin entre la place Sainte-Croix et la gare Saint-Jean.
Toï toï toï, c’est surtout le nom qu’il a choisi, en 2022, pour baptiser son projet quasi-unique en France : transformer un théâtre privé en une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), gérer la salle avec une gouvernance partagée entre des salariés, des bénéficiaires (ici des spectateurs ou des compagnies) et des partenaires privés ou publics, pour penser une autre façon de proposer du théâtre.
Pour que chacun puisse trouver sa place
Pour comprendre la singularité derrière ce statut administratif, il faut revenir à la genèse du projet. En 2018, Loïc Rojouan, comédien et metteur en scène, rachète la S.A.R.L. qui exploitait le théâtre. Très vite, il ressent les limites du modèle classique. « Je ne voulais pas d’un projet porté par un chef d’entreprise seul. L’idée, c’était d’inventer un lieu transmissible, où chacun puisse trouver sa place », confie-t-il.
C’est le modèle qui correspondait le mieux à nos valeurs. Il y a la gouvernance partagée, la solidarité, l’ancrage local et l’utilité sociale
Le déclic vient d’un proche qui lui parle d’un théâtre toulousain monté en SCIC. L’idée mûrit, puis s’impose pendant la période du Covid : celle de faire du théâtre autrement, avec et pour les autres. « C’est le modèle qui correspondait le mieux à nos valeurs. Il y a la gouvernance partagée, la solidarité, l’ancrage local et l’utilité sociale », explique Maëla Payen Piriou, directrice administrative.
Une implication collective
« Concrètement, on fait venir surtout des compagnies de la région pour qui ce lieu est un tremplin. Et on ne se verse pas de dividendes : on est 41 sociétaires, chacun a une voix lors des prises de décisions qui sont toutes collectives. Ça nous permet d’avoir un lieu plus convivial, avec des compagnies et des spectateurs impliqués qui participent à la vie du théâtre » ajoute-t-elle.
« C’est bien de s’ouvrir à d’autres mondes, complète Loïc Rojouan. Un associé venu du milieu médical, par exemple, nous a posé des questions qu’on ne se serait jamais posées. »
Économie humaine
Dans un secteur culturel souvent fragile, ce modèle collectif est aussi une réponse de résilience. Toi Toi Toi revendique 91 % d’autofinancement et seulement 9 % de subventions publiques.
« Notre indépendance, c’est notre liberté, explique Loïc Rojouan. On programme des spectacles parce qu’ils ont du sens, pas parce qu’ils “vont remplir la salle”. Et on fait en sorte d'avoir des prix assez bas pour accueillir tout le monde. On le prend comme une mission de service public. »
Toï Toï Toï revendique 91 % d’autofinancement et seulement 9 % de subventions
Loin d’un théâtre élitiste ou purement commercial, Toï Toï Toï défend une culture vivante, exigeante et accueillante. « On s’inscrit dans l’économie sociale et solidaire, dans laquelle il y a une éthique du respect : respect du public, des artistes et de l’équipe. On ne fait pas juste tourner une entreprise, on fait vivre un projet de société. »
Loïc Rojouan veut surtout un modèle stable et pérenne. « Je pense déjà à la transmission. Je ne veux pas être le vieux Loïc Rojouan qui s’accroche à son théâtre indéfiniment. Un jour, je le transmettrai, et ça sera plus simple parce que le collectif portera la transition.» Et de conclure : « L’âme du lieu, c’est une aventure où le “je” s’efface au profit du “nous”. »