Retour sur La journée de commémoration du 23 mai : Haïti au cœur de la mémoire
Mis à jour le 12 juin 2025

Pour clore la 10e édition des Journées de la Mémoire, la Ville de Bordeaux a organisé le 23 mai 2025 une journée exceptionnelle autour de la mémoire des victimes de l’esclavage. Placée sous le signe d’Haïti et du bicentenaire de la double dette, cette commémoration a mêlé cérémonie officielle, initiatives culturelles, engagement associatif et transmission intergénérationnelle.
Le 23 mai 2025, Bordeaux a conclu les Journées de la Mémoire par une journée de commémoration officielle marquée par une triple séquence aussi politique que sensible. Centrée sur la mémoire des victimes de l’esclavage et sur le bicentenaire de la double dette imposée à Haïti, cette édition a proposé une lecture renouvelée de l’histoire, au croisement de la transmission, de la justice mémorielle et de l’engagement citoyen.
Une journée pour "déplacer le regard"
Chaque année depuis 2015, Bordeaux consacre les Journées de la Mémoire à la reconnaissance de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions. Mais pour cette dixième édition, un cap a été franchi. « Il était important de ne pas commémorer uniquement l’abolition, mais aussi de parler des victimes, des résistances et de leurs héritages contemporains », explique Sandra Merlet, chargée de mission aux politiques mémorielles, désormais rattachée au musée d’Aquitaine, qui a assuré pour la première fois la coordination générale de l’événement.
Le 23 mai a ainsi été conçu comme un temps fort articulé autour de trois lieux, trois moments, et un fil rouge puissant : Haïti. Une manière d’ancrer dans la mémoire collective le rôle central de l’ancienne colonie française de Saint-Domingue, qui a non seulement porté le plus vaste soulèvement d’esclaves de l’histoire mais aussi payé un lourd tribut économique pour avoir arraché son indépendance.
Sur les quais, un hommage solennel à la mémoire des victimes
La première séquence de la journée s’est tenue sur les quais, face à la statue de Modeste Testas, ancienne esclave affranchie devenue figure emblématique de la mémoire à Bordeaux. Là, la cérémonie du 23 mai, Journée nationale à la mémoire des victimes de l’esclavage, a rassemblé élus locaux, représentants de l’État, associations ultramarines et membres de la diaspora haïtienne.
Parmi les prises de parole, celle de Mme Pearl Hyppolite, vice-présidente de l’association Amitié France-Haïti, a particulièrement marqué les esprits. « Ce moment a été pensé en écho au bicentenaire de la double dette imposée à Haïti en 1825 par la France, en compensation des pertes subies par les anciens colons. Une dette qui a enchaîné Haïti à un cycle d’endettement jusqu’au XXe siècle », rappelle Sandra Merlet.
Ce fil rouge haïtien, également porté par une tribune signée en avril par le maire de Bordeaux aux côtés de ses homologues de Nantes et de La Rochelle, trouve ici une résonance particulière. Bordeaux a en effet été l’une des villes françaises ayant le plus bénéficié de l’économie des plantations de Saint-Domingue au XVIIIe siècle
Dans les jardins de la mairie : un moment de transmission et de partage
En milieu de journée, le cortège s’est déplacé dans les jardins de l’hôtel de ville, pour un moment à la fois festif, pédagogique et sensible. Un buffet haïtien, préparé par le « Vin Wê », un restaurant local , a ouvert ce deuxième temps, dans une ambiance chaleureuse.
Le maire, Pierre Hurmic, y a passé plus d’une heure, échangeant librement avec les enfants, les membres d’associations et les artistes. « Ce n’était pas un moment figé. On a vu le maire assis à table avec les enfants, dans une vraie atmosphère de convivialité. » confie Sandra Merlet.
S’en est suivi un spectacle coordonné par la compagnie Fabre/Sènou, le metteur en scène Vincent Harisdo et le rectorat de Bordeaux. Sur scène, près de 150 élèves de collèges et lycées de Nouvelle-Aquitaine ont pris part à un projet artistique autour de la mémoire, du corps et de l’engagement.
Puis, invité par MC2a, l’artiste haïtien Guy Régis Jr a présenté La Bible du déboulonnement (un prologue à la prestation du dimanche 08 juin dans le cadre du festival Chahuts, en partenariat avec l’Institut des Afriques et le musée d’Aquitaine), une performance théâtrale déambulatoire traversant les jardins et le musée des Beaux-Arts. « C’est la première fois que ce musée participait aux Journées de la Mémoire. Cela témoigne d’une vraie volonté d’élargir le périmètre de l’événement à d’autres institutions culturelles », souligne la chargée de mission.
Le musée d’Aquitaine inaugure une section permanente sur Haïti
Le point d’orgue de la journée s’est tenu en fin d’après-midi au musée d’Aquitaine. Là, en présence de Baptiste Maurin, d’universitaires, de la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage et de nombreux citoyens, une nouvelle séquence dans le parcours permanent mis en place par le conservateur du musée Christian Block a été officiellement inaugurée. Intitulée Du soulèvement de Saint-Domingue aux conséquences de la double dette haïtienne, 1791-2025, elle vient enrichir le parcours permanent du musée avec un éclairage inédit sur le rôle d’Haïti dans l’histoire mondiale. À cette occasion, une pièce historique exceptionnelle a été déposée dans les collections du musée : une lettre originale de Florvil Hyppolite, ancien président haïtien, datant de la fin du XIXe siècle. Ce document, transmis par sa descendante Mme Pearl Hyppolite, témoigne des échanges entre l’état haîtien et français autour de la dette. Des missives qui résonnent aujourd’hui comme un acte de résistance diplomatique et mémorielle.
Un tournant pour la mémoire bordelaise ?
Avec plus de 160 personnes lors de la cérémonie, 150 enfants mobilisés pour les spectacles, plus de 70 visiteurs au musée d’Aquitaine, la journée du 23 mai 2025 restera comme une édition charnière. Elle a permis d’associer mémoire, culture, éducation, et participation citoyenne dans une dynamique collective inédite.
« Ce qu’on veut désormais, c’est que la mémoire ne reste pas cantonnée à des discours officiels. On veut créer des ponts durables entre les institutions, les artistes, les chercheurs, les associations et les diasporas », souligne Sandra Merlet.
L’ancrage d’Haïti dans cette journée de commémoration n’est pas un choix anodin : il vient dire que Bordeaux, ville portuaire marquée par l’histoire coloniale, peut aussi devenir un territoire de reconnaissance, de réparation et de transmission. Une mémoire vivante, en marche.