Retour sur La journée de commémoration du 23 mai : Haïti au cœur de la mémoire

Photo de du spectacle coordonnée par la compagnie Fabre/Sènou, le metteur en scène Vincent Harisdo et le rectorat de Bordeaux. Le spectacle se tient dans les jardins de la Mairie avec près de 150 élèves de collèges et lycées de Nouvelles-Aquitaine.
Vincent Harisdo coordonne plus de 150 élève de collèges et lycées de Nouvelle-Aquitaine pour proposer un spectacle grandiose © T.Sanson / Ville de Bordeaux

Pour clore la 10e édition des Journées de la Mémoire, la Ville de Bordeaux a organisé le 23 mai 2025 une journée exceptionnelle autour de la mémoire des victimes de lesclavage. Placée sous le signe dHaïti et du bicentenaire de la double dette, cette commémoration a mêlé cérémonie officielle, initiatives culturelles, engagement associatif et transmission intergénérationnelle.

Le 23 mai 2025, Bordeaux a conclu les Journées de la Mémoire par une journée de commémoration officielle marquée par une triple séquence aussi politique que sensible. Centrée sur la mémoire des victimes de lesclavage et sur le bicentenaire de la double dette imposée à Haïti, cette édition a proposé une lecture renouvelée de lhistoire, au croisement de la transmission, de la justice mémorielle et de lengagement citoyen.

Une journée pour "déplacer le regard"

Chaque année depuis 2015, Bordeaux consacre les Journées de la Mémoire à la reconnaissance de la traite, de lesclavage et de leurs abolitions. Mais pour cette dixième édition, un cap a été franchi. « Il était important de ne pas commémorer uniquement labolition, mais aussi de parler des victimes, des résistances et de leurs héritages contemporains », explique Sandra Merlet, chargée de mission aux politiques mémorielles, désormais rattachée au musée dAquitaine, qui a assuré pour la première fois la coordination générale de l’événement.

Le 23 mai a ainsi été conçu comme un temps fort articulé autour de trois lieux, trois moments, et un fil rouge puissant : Haïti. Une manière dancrer dans la mémoire collective le rôle central de lancienne colonie française de Saint-Domingue, qui a non seulement porté le plus vaste soulèvement desclaves de lhistoire mais aussi payé un lourd tribut économique pour avoir arraché son indépendance.

Sur les quais, un hommage solennel à la mémoire des victimes

La première séquence de la journée sest tenue sur les quais, face à la statue de Modeste Testas, ancienne esclave affranchie devenue figure emblématique de la mémoire à Bordeaux. Là, la cérémonie du 23 mai, Journée nationale à la mémoire des victimes de l’esclavage, a rassemblé élus locaux, représentants de l’État, associations ultramarines et membres de la diaspora haïtienne.

Parmi les prises de parole, celle de Mme Pearl Hyppolite, vice-présidente de lassociation Amitié France-Haïti, a particulièrement marqué les esprits. « Ce moment a été pensé en écho au bicentenaire de la double dette imposée à Haïti en 1825 par la France, en compensation des pertes subies par les anciens colons. Une dette qui a enchaîné Haïti à un cycle dendettement jusquau XXe siècle», rappelle Sandra Merlet.

Ce fil rouge haïtien, également porté par une tribune signée en avril par le maire de Bordeaux aux côtés de ses homologues de Nantes et de La Rochelle, trouve ici une résonance particulière. Bordeaux a en effet été lune des villes françaises ayant le plus bénéficié de l’économie des plantations de Saint-Domingue au XVIIIe siècle

Dans les jardins de la mairie : un moment de transmission et de partage

En milieu de journée, le cortège sest déplacé dans les jardins de lhôtel de ville, pour un moment à la fois festif, pédagogique et sensible. Un buffet haïtien, préparé par le « Vin Wê », un restaurant local , a ouvert ce deuxième temps, dans une ambiance chaleureuse.

Le maire, Pierre Hurmic, y a passé plus dune heure, échangeant librement avec les enfants, les membres dassociations et les artistes. « Ce n’était pas un moment figé. On a vu le maire assis à table avec les enfants, dans une vraie atmosphère de convivialité. » confie Sandra Merlet.

Sen est suivi un spectacle coordonné par la compagnie Fabre/Sènou, le metteur en scène Vincent Harisdo et le rectorat de Bordeaux. Sur scène, près de 150 élèves de collèges et lycées de Nouvelle-Aquitaine ont pris part à un projet artistique autour de la mémoire, du corps et de lengagement.

Puis, invité par MC2a, lartiste haïtien Guy Régis Jr a présenté La Bible du déboulonnement (un prologue à la prestation du dimanche 08 juin dans le cadre du festival Chahuts, en partenariat avec l’Institut des Afriques et le musée d’Aquitaine), une performance théâtrale déambulatoire traversant les jardins et le musée des Beaux-Arts. « Cest la première fois que ce musée participait aux Journées de la Mémoire. Cela témoigne dune vraie volonté d’élargir le périmètre de l’événement à dautres institutions culturelles », souligne la chargée de mission.

Le musée dAquitaine inaugure une section permanente sur Haïti

Le point dorgue de la journée sest tenu en fin daprès-midi au musée dAquitaine. Là, en présence de Baptiste Maurin, duniversitaires, de la Fondation pour la Mémoire de lEsclavage et de nombreux citoyens, une nouvelle séquence dans le parcours permanent mis en place par le conservateur du musée Christian Block a été officiellement inaugurée. Intitulée Du soulèvement de Saint-Domingue aux conséquences de la double dette haïtienne, 1791-2025, elle vient enrichir le parcours permanent du musée avec un éclairage inédit sur le rôle d’Haïti dans lhistoire mondiale. À cette occasion, une pièce historique exceptionnelle a été déposée dans les collections du musée : une lettre originale de Florvil Hyppolite, ancien président haïtien, datant de la fin du XIXe siècle. Ce document, transmis par sa descendante Mme Pearl Hyppolite, témoigne des échanges entre l’état haîtien et français autour de la dette. Des missives qui résonnent aujourdhui comme un acte de résistance diplomatique et mémorielle.

Un tournant pour la mémoire bordelaise ?

Avec plus de 160 personnes lors de la cérémonie, 150 enfants mobilisés pour les spectacles, plus de 70 visiteurs au musée dAquitaine, la journée du 23 mai 2025 restera comme une édition charnière. Elle a permis dassocier mémoire, culture, éducation, et participation citoyenne dans une dynamique collective inédite.

« Ce quon veut désormais, cest que la mémoire ne reste pas cantonnée à des discours officiels. On veut créer des ponts durables entre les institutions, les artistes, les chercheurs, les associations et les diasporas », souligne Sandra Merlet.

Lancrage dHaïti dans cette journée de commémoration nest pas un choix anodin : il vient dire que Bordeaux, ville portuaire marquée par lhistoire coloniale, peut aussi devenir un territoire de reconnaissance, de réparation et de transmission. Une mémoire vivante, en marche.